vendredi 13 février 2009

Un meurtre sans meurtrier


Ce blog qui traitait de l'affaire Villemain et notamment qui suivait le téléfilm sur l'histoire, est provisoirement en travaux car il "outrepassait la liberté d'expression" je cite de mémoire !!! Jamais jusqu'alors je n'avais subi de censure, ni comme prof ni comme auteur. Pas plus les Mollah que les turcs de "Noces kurdes" ne l'avaient fait. Le blog reprendra évidemment après consultation... Une erreur judiciaire s'entend en deux sens ; en voici une, dramatique. C'est l'affaire Clövers qui suit: il a été condamné sur un seul témoignage, à douze ans de prison.



Scènes de chasse à Sète

Hélène Larrivé, M° Christine Blindauer


La famille Clövers, de nationalité allemande, est en vacances dans le sud de la France en août 1996, comme chaque été ; le soleil, la plage, la mer… la France ! Le midi ! Et aussi le début d’une tragédie. Une vie sans histoires pourtant, malgré les handicaps du père et des deux enfants… Surdité pour lui, retard mental important pour le petit garçon, et, moindre, pour la petite fille. Seulement voilà : on est en pleine affaire Dutroux. L’horreur légitime suscitée par les faits a tétanisé le monde. Ils vont le payer, eux.


Un chien, au départ

Le camping ! Le soleil, oui, mais aussi la promiscuité, les querelles de voisinage, les incompréhensions culturelles parfois. Vous vous souvenez ? Moi, oui, à Fontainebleau, version « gla gla gla » de surcroît. Ca peut être drôle, style Coluche ; ça peut être dramatique style Dupont Lajoie. Ici, c’est cela, mais à l’envers. J’avais dix ans, nous étions comme tous les campeurs, venus des quatre coins de partout, en visite à la Capitale, pas très riches, acceptant de bon gré une vie spartiate mais peu onéreuse, dans la forêt humide. Je n’oublierai jamais : l'allemand sympathique et rigolard qui, au bac collectif, par un petit matin frisquet, tout en devisant aimablement, se déshabilla entièrement… et hop ! même le « bas »… sous les yeux stupéfaits de mon père ; les arabes, avec leur dignité un peu compassée et leur peur panique des chiens, même du caniche ; les espagnols s’enquérant de la proximité de l’église où ils se rendaient tous les jours à pied ; et ces excellents hollandais modèle géant avec leur petite fille de mon âge, qui, me trouvant sans doute sous alimentée, me gavaient de gâteaux à me rendre malade… C’est cela, les chocs culturels. Enrichissants le plus souvent, lorsque les gens sont indemnes de racisme ou d’ostracisme. Se dévêtir entièrement pour se laver en effet est autrement plus pratique que d’aller faire des acrobaties avec un baquet sous la tente voire aux WC… à condition qu’ils ferment bien, ce qui n’était pas le cas. La solidarité aussi : pendant que mes parents allaient en visite à Paris, il m’est arrivé de rester avec les géants hollandais qui donc me gavaient. Et vice versa, nous amenions parfois Hannah avec nous dans notre vieille 202 où immanquablement elle vomissait partout.

Issian maï ! (Nous y voilà.) Ca n’a guère changé : Madame Vachez a un chien, qui apparemment dérange le voisinage puisqu’elle a déjà dû changer d’emplacement. Il saute sur le ballon lorsque les gens jouent, comme tous les chiens, mais Sabrina, la petite Clövers en a peur. Monsieur Clövers en bon allemand, sûr de son droit, proteste. Le reste on ne le sait pas : le ton est-il un peu plus haut qu’il ne devrait ? Il est sourd, ne l’oublions pas. La barrière des langues aussi, qui empêche toute nuance, joue sans doute son rôle. Bref, c’est la bisbille, comme il y en a tant dans les lieux où les gens se côtoient de trop près, voire dans les familles même : un qui ronfle, l’autre qui fume, le troisième qui pète, ou qui a un chien… et le lève tôt qui fait frire ses merguez de bon matin, empestant l’air pendant que d’autres « petit déjeunent » etc… Pourquoi tout a-t-il dérapé dans ce camping sans histoires ? Le hasard… et la nécessité.


Un regard, simplement


Madame Vachez, fort marrie d’avoir peut-être été tancée, observe alors ses voisins… sans aménité, naturellement. Et lorsqu’on cherche, souvent, hélas, on trouve. D’abord ces gens sont bizarres : trois sont handicapés, évidemment, dont l’un, le petit garçon, retardé mental ; ils se parlent de très près (forcément puisque Monsieur Clövers est sourd) ; les enfants portent des couches à huit ans, comme c’est étrange (cela arrive malheureusement en cas d’infirmité motrice cérébrale) ; ils se câlinent beaucoup (les petits handicapés sont souvent extrêmement affectueux, même tard, et on ne peut les traiter avec la même distance que les autres enfants). Tout ça n’est pas très catholique pour Madame Vachez, qui sans doute ne cherche pas trop à comprendre. Ce n’est probablement pas le cas dans sa famille et c’est aussi peu blâmable dans un sens que dans l’autre. Pas de bisous, de câlins, ni même de toucher, certains parents sont ainsi : les miens par exemple. D’autres, non. Si une famille se montrait différente, mon père haussait un sourcil réprobateur, rien de plus. Pas Madame Vachez, qui voit rouge, interprète, suppute.

Donc elle aperçoit « quelque chose » : quoi ? ce n’est pas très clair et il y a plusieurs versions : Monsieur Clövers est « sur » ou « au dessus » de sa fille, allongés tous deux sur le lit. Le câlin du soir après le conte de fées pour s’endormir ? Madame Vachez voit mal ; d’abord elle va dire qu’ils sont face à face, ensuite, c’est plutôt face à dos, puisqu’elle dit avoir distingué le visage bouleversé de la petite, ce qui n’aurait pas été possible si l’enfant avait été face à son père ; cela, ça s’appelle distordre les faits, les bricoler. Puis elle va ajouter que l’enfant pleure… et ensuite, qu’elle a vu le slip du père baissé et que la mère a tenté de l’empêcher de regarder… Enfin, c’est le petit Florian qu’elle a aperçu le matin, marchant penché : elle en a donc déduit qu’il était sodomisé, c’est évident… et l’enfant qui fait des crises sonores, corrobore évidemment sa théorie : s’il crie, c’est parce que son père le viole (en fait l’enfant est épileptique et sa démarche particulière provient de là)… Sonnez trompettes : tout s’emboîte. Elle est seule a avoir vu, mais qu’importe, elle a vu.

Vu ou interprété ? Sans être philosophe, on sait bien que la vision, surtout de « faits » aussi flous et sujets à discussion, est fonction de la situation… elle-même appréciée subjectivement… et que dans le cas, l’on ne saurait « voir » objectivement. [Imaginons au camping de Fontainebleau en 58 mon père outré par le déshabillage intempestif du joyeux drille devant moi, qui avais dix ans à l’époque, porter plainte pour attentat aux mœurs : c’était tout à fait possible, il suffisait seulement d’ajouter une intention particulière à son geste. Le cochon ! Un geste anodin, bon enfant, et parfaitement compréhensible pourtant, même s’il nous a choqué cinq minutes culturellement.]


Scènes de chasse


De fait, à Sète, tout s’emballe. Une autre voisine, apparemment arabe ou sépharade (à en juger par son nom), c'est-à-dire de culture orientale, assure que Monsieur Clövers la regardait bizarrement tout en triturant son short. Anodin ? Je ne sais pas, mais cela aussi peut être interprété. Faut-il souligner l’extrême pudibonderie de ces cultures, étonnante lorsque par ailleurs on observe, à condition d’être immergé familialement dans ces milieu, au cours de fêtes banales (anniversaire, mariages, naissances) … des danses extrêmement suggestives que tous applaudissent sans vergogne, jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants, sans arrière pensée. Les danseuses- musiciennes, peu vêtues, sont dans le patio, en plein milieu ; les hommes, en haut [et évidemment ils n’en perdent rien !!!] et les femmes, en bas [ou l’inverse le lendemain] : l’honneur est sauf. Ahurie, je m’étais enquise de cette contradiction auprès d’une jeune fille qui me répondit benoîtement que « les danseuses étaient des servantes kabyles, plus libres de moeurs que les arabes » ! L’honneur était donc sauf à deux titres, en quelque sorte. Assia ne comprit pas le fou rire qui me saisit devant les regards exorbités de ses jeunes frères et cousins, littéralement ventousés sur les filles qui se trémoussaient lascivement à deux mètres d’eux. Mais lorsqu’elles allaient à la plage, ce qui était preuve d’un grand libéralisme de la part de la famille, Assia et ses sœurs étaient toujours harnachées (mais non voilées) dans une gandoura qui ne laissait rien deviner de leurs formes. La baignade s’effectuait derrière de vagues paravents de toile noire hâtivement dressés… par des serviteurs qui eux aussi ne perdaient rien du spectacle. Des kabyles, précisa encore la jeune fille pour se justifier, et qui faisaient parti de la famille. L’honneur était sauf, encore une fois : des kabyles, pensez, ça ne tire pas à conséquence… Culture…

Issian maï encore. Une autre femme du camping confirme les « regards » de Monsieur Clövers. Le mari n’a rien vu mais puisque sa femme le dit, ça doit être vrai. Autrement dit, il n’y a qu’un témoignage direct. Testi uni, testi nullus ? Cela ne fonctionne pas pourtant, ici du moins. Et cela donne une plainte pour abus sexuels et maltraitance. Les Clövers ont toujours clamé leur innocence certes. Mais comment clamer lorsqu’on ne parle pas la langue, lorsqu’on est sourd, différent, lorsque ses enfants sont handicapés intellectuels pour ce qui est de Florian, lorsque l’interprète diligentée à la hâte traduit mal, tendancieusement, lorsque les gendarmes posent des questions fermées puis effectuent un rapport qui tient davantage de la synthèse littéraire que de la retranscription littérale ? Un rapport où les questions n’apparaissent pas, ni le sens des mots. Ainsi « caresses » signifie caresses sexuelles, ce que la petite fille ne comprend pas : pour un enfant de huit ans, caresse signifie caresse, point. Le reste viendra ensuite. Comme clamer lorsque le juge n’instruit qu’à charge ?

Subjugué par la logorrhée de l’accusatrice principale dont il fait la star de toutes les confrontations [au fait, ça ne vous rappelle rien ?] le juge se montre méprisant, n’écoute pas les accusés. Testi unus, testi nullus… et cependant… Voilà une vérité judiciaire à présent inattaquable : maltraitance, abus sexuels, viols. Ni le procureur, ni le juge des enfants, ni le juge des libertés, ni les magistrats de la cour d’assises n'arrêteront la machine emballée. L’affaire Dutroux, toujours : sus aux pédophiles. Autrefois, la parole des enfants n’était pas prise en compte, ni celle d’accusateurs de bonne foi ; à présent, c’est l’inverse : aux accusés de prouver leur innocence, ce qui bien sûr est impossible, la machine ne connaît pas de demi mesure. Sa défaillance scellera, pour les Clövers, leur descente aux enfers : garde à vue, détention provisoire, infamie, ruine et destruction, tout s’enchaîne très vite. 12 ans de prison pour le père et toc.


Une victime fabriquée


Or Sabrina, « victime » fabriquée est devenue à présent une jeune fille. Une jeune fille qui parle, qui crie l’innocence de son père. Il ne l’a jamais violée, ni agressée, pas plus elle que son frère ; elle veut réparer cette horreur en restituant la réalité des faits… et tente de restaurer ce qui peut encore l’être de ces vies brisées : celles de toute sa famille. Un hic, et de taille : la justice coûte cher... donc favorise les riches. D’où des injustices qui évidemment touchent davantage les pauvres… et dans les deux sens : des accusés accablés de charges, disons même de preuves dans certains cas, ne citons personne, ont pu s’en sortir indemnes ; et d’autres, dont Mr Clövers, avec un seul témoignage, et hautement suspect, se retrouvent en prison pour sept ans sans avoir pu se défendre. Une chance dans son malheur, pour Mr Clövers, tout de même : Ralph, bilingue, et Marie Christine Blindauer le défendent à présent gratuitement. Mais… Est-ce normal de transformer des avocats en assistants sociaux bénévoles ? Comment peuvent-ils vivre ensuite ? L’histoire ne le dit pas.

Le mémoire de Marie Christine Blindauer donc, ici repris, retrace les épreuves de ce couple, leur lutte quotidienne pour survivre, joindre les deux bouts et maintenir les enfants dans les clous… des vies empreintes de dignité et de courage même dans l'adversité la plus extrême. Ce n’est pas seulement pour eux qu’il faut se battre, mais pour tous. L’enquête, le procès et la suite furent une faillite totale : tout peut donc arriver… à tous. Cette faillite mérite un écho énorme qui va certainement être renvoyé, tant aux professionnels du droit et de l'enfance qu’à tous. Y aura t- il un « avant et un après-Clövers » comme un « avant et un après Outreau » ? Sans doute. Bien sûr. Ou c’est à désespérer de la justice.

Car Sabrina vient à présent pour ses vingt ans réclamer à la justice française, non pas de lui rendre son enfance brisée, ce qui est impossible, mais la simple reconnaissance de cette monstrueuse erreur judiciaire qui a traîné ses parents dans la boue et les a détruits, au mépris de toute objectivité, de toute vérité, de sa parole même et de plus au nom de celle-ci ! Elle exige que l’on restitue ses dires d’enfant, ainsi que ceux de son frère, qui ont été transformés mensongèrement et qui ont anéanti ses parents. Donc elle-même. Qui ont broyés ses vies, saccagées à présent et que rien ne viendra soulager, si ce n’est l’ultime reconnaissance de l’erreur. Son témoignage vient aujourd’hui transformer cette affaire d'inceste et de pédophilie en procès de la justice. Car, de la garde à vue à l'instruction, c'est toute l'enquête qui a déraillé. Un ballet de faux témoignages, mais aussi de dépositions et de traductions détournées, ont construit de toutes pièces une « affaire »… qui s’est terminée par la « mise à mort » du père « pédophile ». Cette fois-ci, il est allemand, et s’appelle Clövers, et justement, il n’est pas pédophile.


Résumé


La Chambre d’Accusation de la Cour de Montpellier en date du 1er juillet 1997, a renvoyé les époux Clövers, ressortissants allemands, devant la Cour d’Assises de l’Hérault ; lui est mis en examen pour tentative de viol sur mineur de 15 ans par ascendant, viols sur mineurs de 15 ans par ascendant et elle, pour complicité de tentative de viol sur mineur de 15 ans par ascendant ; non assistance à personnes en danger. Au terme de l'instruction, la Cour a prononcé la mise en accusation des époux qui résultait selon elle des pièces de l’instruction des charges suffisantes pour les renvoyer devant les Assises. Plon plon plon… Monsieur et Madame Clövers, jamais condamnés ont été écroués en date du 26 août 1996, lui, à la maison d’arrêt de Villeneuve les Maguelone, et elle, à celle de Nîmes. Dès le début de l’enquête, et tout au long de l’instruction, ils ont formellement nié les faits qui leur étaient reprochés. L’arrêt de la chambre d’accusation du 1er juillet 1997 a pourtant retenu des éléments à charge suffisants : les auditions des deux enfants dénonçant des abus sexuels de la part de leur père dont la mère aurait eu connaissance ; l’audition des époux ; les examens médicaux de Sabrina et de Florian ; leurs expertises psychologiques ; les investigations du juge d’instruction notamment l’audition des Vachez, de Madame Comisarek et des Mezoued ; l’audition de Madame Hames et de l’éducatrice spécialisée ; et la confrontation entre Madame Vachez et les époux Clövers.

Dit comme ça, Dieu que cela impressionne. En dessous, cependant, il n’y a rien.


Les faits


Les Clövers sont arrivés en vacances le 4 août 1996 au camping du Castellas à Sète avec leurs deux enfants, Sabrina née le 17 mars 1988 (8 ans) et Florian né le 29 décembre 1985 (11 ans) pour une durée de six semaines. Six semaines ? Que nenni, lui y restera sept ans, ce qui n’était pas prévu au programme des vacances. La famille, allemande, attire l’attention en raison des problèmes auditifs et des attitudes de Florian, et parce que les enfants portent encore des couches et ont la « tétine » en bouche… autrement dit, parce que trois de ses membres sont handicapés. Ils s’étaient pourtant déjà rendus l’année précédente dans le même camping, et avaient passé plusieurs fois des vacances en France les années précédentes sans problème. Lui, cadre commercial, est en retraite anticipée depuis 1993 à la suite d’un accident très grave, un infarctus du myocarde et une surdité prononcée depuis plusieurs années qui s’était encore aggravée.

Et c’est là que le drame commence. 17 jours après leur arrivée au camping, le 22 août 1996, il doit être hospitalisé d’urgence dans un service de soins intensifs, en cardiologie, en raison d’une attaque cérébrale qui lui a causé une perte totale de l’ouie. Il sort de l’hôpital le 23 août 1996 après avoir été traité par des médicaments en intraveineuse. Une sortie un peu prématurée : encore très malade, il vomit dans le taxi. Le cardiologue de l’hôpital affirmera pourtant ensuite à la police que ce malaise était simulé. [Une attaque cérébrale, tout de même, et ses conséquences, cela peut-il être simulé ?] Il se couche ensuite, sous sédatifs puissants et s’endort vers 19 heures. Mais il se sent tellement mal que sa femme téléphone à la clinique pour demander s’il ne pouvait passer encore une nuit à l’hôpital sous perfusion. Premier acte.


Bisbilles


Quelques jours auparavant, il s’était plaint auprès de la direction du bruit qui la nuit et dérangeait le sommeil de ses enfants, ainsi que du chien de sa voisine, Madame Vachez, qui avait agressé Sabrina quand elle jouait au ballon, et sauté sur sa femme. Il s’était même rendu le 22 août à l’Office de Tourisme pour demander un remboursement des frais avancés pour le séjour ; sans doute escomptait-il chercher ailleurs un endroit plus calme ? La responsable avait alerté la direction du camping -il était très énervé- etc... La personne en cause, Madame Vachez, ayant déjà dû aménager dans l’allée où se trouvaient les Clövers à cause de disputes avec d’autres campeurs, justement à cause de l’agressivité de son chien [et de plus un autre campeur ayant quitté le camping pour les mêmes raisons] il est probable qu’elle fut sermonnée sec par la direction. Alors ? Rancunière, la dame ? Il ne semble pas, au départ du moins. Quoique… Elle tente même la conciliation en offrant du chocolat aux enfants et du rosé aux parents… argument qu’elle utilisera ensuite auprès des services de police pour démontrer qu’elle n’avait aucune animosité contre eux. [C’est à voir.]

C’est pourtant le lendemain que la vie des Clövers bascule. Rancunière, la dame ? Peut-être, finalement. Savait-elle lors du chocolat - rosé ce qu’elle allait faire le lendemain à leur encontre ? A-t-elle calculé son geste justement pour ne pas être taxée de prévention envers les Clövers ensuite ? Nul ne sait, mais reste que le 24 août à 15h30, elle se rend au Commissariat de Sète avec son époux, affirmant avoir vu Monsieur Clövers violer sa fille Sabrina dans la tente, avec la complicité de son épouse qui cherchait à lui cacher la scène. [Lorsque l’on retrace le déroulement des faits, on peut s’étonner de son incohérence ou de sa duplicité : offre-t-on du vin et des chocolats à un homme que l’on soupçonne de pédophilie et que l’on va dénoncer le lendemain ? Convie-t-on toute la famille chez soi en bonne amitié pour le pot de la réconciliation lorsqu’on a « vu » de telles horreurs se dérouler chez eux ?] Car lors de sa déposition, elle décrira plusieurs agressions sexuelles de Monsieur envers ses enfants durant leur séjour au camping, bien qu’aucune n’ait été signalée auparavant à quiconque, aussi bien par elle que par les autres voisins de tente… qui viendront toutefois ensuite confirmer ses accusations… tout en affirmant ne rien avoir vu, eux… Une histoire de fou ? On le dirait. Elle certifiait surtout avoir vu le père allongé à califourchon sur sa fillette, avec le short baissé… en train de la violer. Par la suite, elle dénoncera d’autres faits de moindre importance : les Clövers étaient susceptibles de maltraiter leurs enfants, ils ne leur donneraient pas à manger régulièrement et surtout elle ajoute que Madame les « livrait » aux désirs du père pour le calmer …


L'affaire Dutroux


Malchance, l’affaire Dutroux fait toutes les « une » des journaux : on ne plaisante pas avec « ça » : les slogans sont violents, « protégez nos enfants », ou encore « si vous voyez quelque chose, n’ayez pas peur, dénoncez, c’est un devoir civique… » Certes, mais on passe d’un extrême à l’autre : tout le monde épie tout le monde ? Suppute ? Interprète ? Cela se peut. De l’indifférence à la suspicion douteuse, là aussi il n’y a pas de demi mesure. Et c’est parti ! Les officiers de police se rendent immédiatement au camping et interpellent violemment les Clövers. Monsieur Vachez, entendu le 24 août, confirma les dires de son épouse… tout en soulignant qu’il n’avait pas vu, lui, la scène du viol. [Le témoignage est donc à rejeter.] Il affirmait cependant qu’il y avait eu « de nombreuses agressions sexuelles sur les enfants »… et concluant avec une belle logique qu’ « il ne s’agissait que de suppositions… » Une déposition sans intérêt par conséquent, qui pourrait se résumer ainsi : si elle l’a dit, c’est que c’est vrai, et puisque c’est vrai, on peut supposer que…

Mais que ne peut-on supposer ? On peut supposer que je vais avoir le Goncourt avec mon dernier livre, voire ce texte, que je vais gagner à la loterie, etc… Comment un juge a-t-il laissé passer un tissu de suppositions ? Un « on dit », suivi d’une hypothèse… à partir de ce « on dit ». « X dit qu’elle a vu Y violer Z avec la complicité de T, et par conséquent, on peut supposer que T… » etc

Très rapidement, Sabrina est entendue ainsi que Florian, assistés de Madame Inès Boulaire, infirmière libérale, qui jouera l’interprète. De ces auditions il ressort que ceux-ci dénoncent tous les deux des abus sexuels de la part de leur père, et cela depuis leur petite enfance, avec la complicité de la mère qui les « livrait » à son mari. Ce que Sabrina dénie avoir jamais dit, ni évidemment que ce soit exact.

Comment cela est-il possible ? C’est simple, nous allons le voir : il y a les questions intrusives, les déficiences des traductions, la peur des enfants, leur fatigue, la colère des interrogateurs [de bonne foi peut-être] et de l’interprète, le bricolage des compte rendus et tout s’enchaîne... Des exemples : on demande à la petite fille « si le zizi de papa se montre vers le haut, ou vers le bas »… à quoi elle répond naïvement : « … vers le haut, ça n’existe pas, ça ne tient pas la route (ça n’est pas possible) »… On lui demande également «combien de fois papa « le » faisait avec elle… à quoi elle répond comiquement : « dix fois par semaine »… ce qui ne gêne personne bien que les examens ont montré qu’elle était vierge (évidemment). Il s’agissait bien sûr dans sa tête de bisous et de caresses, rien d’autre. C’était pourtant clair : « Mon papa est gentil. Il me caresse les cheveux et aussi sur les joues. Il lui arrive de me tapoter les fesses pour jouer et toujours par-dessus ma culotte ou mon short »… Et dans la transcription on peut lire : « Papa m’a caressée partout… je veux dire partout sauf l’entre-jambes. Le corps, les fesses oui » … De même, lorsqu’elle déclare : « que ce soit maman, papa, mon frère ou moi, nous portons des vêtements. Nous ne sommes jamais complètement nus ensemble », la retranscription donne : « Je le vois souvent nu (son père)… il me déshabille et me caresse sur tout le corps et entre les jambes. Il se met également nu, se couche sur moi et il m’enfonce son sexe dans le mien…"

Et puis, comme dans tout interrogatoire, les enquêteurs se relaient : Sabrina et Florian sont interrogés à plusieurs reprises et par plusieurs intervenants. Epuisés, ils répondaient essentiellement par oui ou par non. D’autre part, après les auditions, on ne lui a jamais relu ce qu’elle était censée avoir dit… et dans les procès verbaux, les questions posées n’apparaissent pas : avec de telles méthodes, on peut exactement faire dire n’importe quoi à n’importe qui et sur n’importe quel sujet.

Une autre anomalie : il est impossible que Florian ait pu construire des phrases aussi longues que celles qui lui sont attribuées : son handicap mental fait qu’il dit rarement trois ou quatre mots à la suite, ce qu’attestent les médecins allemands qui le suivent depuis des années. Or voici une partie de l’une de «ses » dépositions : « Je l'ai vu caresser ma sœur partout et sur son sexe. Lorsqu'il fait cela, ils sont nus tous les deux. Je les ai vus en cachette, mon père ne savait pas que j'étais présent car il n'a jamais fait ces ébats devant moi. Une fois, j'entendais ma sœur pleurer. Je me suis caché et j'ai vu mon père faire la même chose qu'avec moi. Il avait retourné ma sœur nue et il était sur elle, également dévêtu. Je pense qu'il lui fait comme à moi, mais je ne peux pas vous donner de détail. » 80 mots ! Et les médecins qui le traitent au centre de Munich qui parlent de quatre mots à la suite au maximum qu’il peut aligner. Ce « rapport » est donc une construction plus proche de l’invention romanesque que d’une déposition de police… qui va cependant contribuer à faire condamner un homme à la prison pour 12 ans.


Une enfant "méfiante" !


Lorsque Sabrina explique au docteur Heller « que son père était accusé à tort, et que Madame Vachez aurait mal vu »… le rapport précise, à juste titre : « elle est méfiante, demande souvent ce que l’expert écrit, et pourquoi on écrit »… « elle se soucie de Florian et de son père qui n’a rien fait dit-elle…» et qui est accusé à tort. Elle tente d’infirmer le témoignage (de Béatrice Vachez)) qui accuse celui-ci en racontant que lorsqu’elle se trouvait nue sur sa couchette, son frère lui a fait mal au pied, ce qui explique qu’elle a crié. La psychologue ajoute : « Au sujet de ce qu’elle a raconté à la police, Sabrina prétend que la traductrice a trop insisté : elle ne m’a pas laissé dire non, j’ai toujours dû dire oui » dit-elle. Conclusion : il n’y avait donc aucun doute sur ses déclarations en ce 11 septembre 1996. Elle est suffisamment intelligente pour déjouer la plupart du temps les pièges qui lui sont tendus. [Mais pas toujours.] Par exemple à la question : « Si on pouvait dire à papa qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire, qu’est-ce qu’on lui dirait ? »… elle répond « Qu’il ne faut plus faire ça » … « Faire quoi ? » … « Ce que la voisine a dit mais c’est pas vrai ».

Le compte-rendu du Docteur Cany et du docteur Dietmar Heller sur Sabrina est criant de vérité : dans ce rapport, il est demandé l’avis de Madame Hames [la nourrice des enfants] sur la petite et celle-ci déclare : « Le monde extérieur serait pour elle hostile … C’est comme s’il y avait un lieu où toute la famille est bien : le reste on le méprise ». Sabrina faisait ici état du bien-être au domicile familial avant le drame et sans doute de sa peur du regard des autres devant les handicaps de sa famille soudain mis en exergue de manière obscène, insupportable. « La peur de Sabrina, son angoisse peut être s’organise autour de sa situation actuelle. » On la comprend.

Mais le docteur Prunieres, qui sera chargé ensuite de l’expertise gynécologique des enfants et dont nous reparlerons tout à l’heure [et qui ne semble pas un sentimental] conclut au contraire benoîtement : « enfant paraissant cacher des faits… » : il constate que la petite « n’avait pas envie de se confier (!) qu’elle était « opposante, renfermée, réfléchissait longuement »… Certes : parce qu’elle refusait de dire ce qu’on voulait lui faire dire et qui était inexact, cela il ne le dit pas. Un autre médecin poursuit, au sujet de Florian cette fois, dans un registre plus nuancé : « avant d’accepter quoi que ce soit, il manifeste sa peur qu’elle (Sabrina) refuse (qu’il parle)… il se demande ce qu’elle va dire » … et ça continue, mais avec cette fois la touche personnelle de Madame Hames, la nourrice, qui est germanophone : « il semble qu’elle a peur qu’il raconte quelque chose qu’elle ne contrôle pas ». Et la gardienne d’enfoncer encore le clou : à la fin de l’expertise de Florian, Sabrina aurait demandé à son frère « est-ce que tu as dit quelque chose ? » [Evidemment, tout cela se conçoit sans être agrégé de philo : la petite fille qui connaît la fragilité de son frère et la facilité déconcertante avec laquelle il peut se laisser manipuler, a peur en effet de ce qu’on peut lui faire dire.] Le rapport conclut : « il sait que ses parents sont incarcérés mais prétend en ignorer le motif. Il n’est pas disposé à répondre à quelque question que ce soit sur ce sujet… »… « Il ne répond plus du tout à aucune question sur son père, puis un semblant d’échange s’instaure à nouveau lorsqu’on lui demande s’il aimerait le revoir et vivre à nouveau avec lui. Son oui est ferme et enthousiaste, son regard s’éclaire. Se rappelle-t-il ce qui s’est passé avec lui ? Non. Il a oublié ? Oui. » !!!!

« Ce qui s’est passé avec son père », cela peut vouloir dire n’importe quoi. Son arrestation, sa maladie… Ici, la manière de parler aux enfants ici ressemble davantage à du bourrage de crâne qu’à un entretien libre durant lequel on cherche sans a priori le vrai. Florian en perdra parfois l'usage de la parole, ou bégaiera. Cela aussi sera le signe qu’il a été abusé, évidemment. (!) Même son silence constituera une preuve de «déni » : les psychologues sont des gens formidables.


Manipulations


Résumé : dès le départ, les interrogateurs manipulent et intimident, et des questions inductives ou rhétoriques (de fausses questions) à la chaîne susciteront chez les enfants malaise et angoisse : ils en seront réduits à l'observation des mimiques de leurs questionneurs : s'il lève les sourcils, c'est que je dis faux, il est fâché ; s’il sourit, ou note, c’est que je dis vrai, il est satisfait, je peux continuer. Laing et Esterson (l’antipsychiatrie) revisités : ainsi fabrique-t-on un malade mental ou une victime.

Le père, entendu le même jour, apprenant les faits qui lui sont reprochés avec l’horreur que l’on imagine demande immédiatement que ses enfants soient examinés par un médecin. Et le soir même, le docteur Prunières procède sur eux à un examen gynécologique et anal. Un détail : cela ressemble de facto à une forme d’agression sexuelle, qu’elle soit le fait de professionnels de bonne foi ne changeant pas grand-chose à l’affaire. Comment ensuite n’en furent-ils pas traumatisés ? Pratiquer un « examen » gynécologique, cela signifie tenter d’introduire les doigts ou un objet quelconque dans les parties intimes du patient, en l’occurrence des enfants, sexe et anus, afin d’apprécier leur résistance à la pénétration… (en insistant plus ou moins selon la délicatesse de l’intervenant ou ses soupçons)… et les examiner attentivement sous le scialytique qui aveugle, de très près, avec palpation interne, à plusieurs, à tour de rôle et souvent en prenant des photos. Chouette, non ? Sans les blouses blanches et la nécessité de cette monstruosité, cela s’appelle un viol et il est douteux que les enfants aient fait la différence, d’autant plus que cela se déroula en dehors de la présence de leurs parents, les seuls qui parfois peuvent faire passer la pilule. Observons aussi que le médecin qui les livra à l’examen était un homme, ce qui aggrave le cas. « J’avais l’impression qu’on me coupait, qu’on me déchirait » dit Sabrina. Le docteur Prunières, lui, note, impavide : « examen gynécologique difficile, réticence, contracture… Examen de l’anus difficile ».

Le même notera ensuite que le petite fille « semble renfermée, cacher quelque chose et se montre peu désireuse de se confier » !!! Sans blagues. On croirait un sketch.

Mettons nous à leur place : ils ont huit et dix ans, leur vie coule comme d’habitude, aimés, entourés par leur famille, dans ce camping certes un peu bruyant… et soudain, c’est l’horreur ; ils voient leurs parents amenés violemment devant eux, ils sont séparés d’eux, puis interrogés de manière obscène… Ils ne comprennent rien, ils les réclament… et pour toute réponse on les livre immédiatement à ce « viol » institué sans qu’ils ne puissent protester ni se défendre.

Résultat, car il en faut un à cette torture : le Docteur Prunières conclut pour Florian à un examen compatible avec des actes de sodomie répétés, et pour Sabrina, qui présente une blessure superficielle au niveau vulvaire, à un examen compatible avec une tentative de pénétration, sans lésion traumatique anale « mais n’excluant pas des actes de sodomie». Il reviendra ensuite sur ses conclusions. En résumé, l’examen gynécologique de Sabrina dit qu’elle est vierge [alors qu’on lui a fait déclarer qu’elle a été violée en Allemagne plusieurs fois par semaine, durant plusieurs années]… donc : hymen intact, qu’il n’y avait pas de lésion traumatique, mais cependant une zone érythémateuse [note, dont l’origine était une mycose avec des démangeaisons importantes -les couches et la chaleur- ce qu’a essayé d’expliquer sa mère au juge]. Quant à l’expertise de Florian, elle précisait aussi qu’il n’y avait pas de marque traumatique ni de signe de violence mais que son sphincter était de faible tonus. [Note, comme celui de beaucoup d’infirmes moteurs.] Car, comme presque tous les IFMC, il souffrait d’encoprésie primaire. De surcroît, il faisait de fréquentes crises d’épilepsie, ce qui occasionne souvent de l’incontinence anale même chez des malades normaux. Le juge l’ignorait-il ? Le médecin aussi ? De plus, il avait par ailleurs été victime quelques mois auparavant d’une agression en Allemagne par un garçon âgé 14 ans : le juge refusa de tenir compte de ce détail (plutôt à décharge évidemment). En somme, prudent, le docteur Prunières n’affirmait ni n’excluait rien. Zéro à zéro : de preuves irréfutables, il n’y a pas, et pour cause. Selon le mot de Besancenot, le juge est « à poil ». Qu’à cela ne tienne…


Etre différent


Il n’est pas bon en France d’être différent. Les Clövers tenteront de faire comprendre que les handicaps de la famille expliquent leurs attitudes atypiques, handicaps faisant l’objet d’un suivi à Munich et d’une thérapie comportementale assidue visant surtout à calmer les crises d’épilepsie de Florian… par exemple, cela explique les scènes décrites par les témoins du camping au cours desquelles l’enfant se tient le buste penché en avant avec un coussin contre lui etc… Malgré leur impécuniosité, ce sont des parents attentifs, dévoués, cherchant de toutes leurs forces à soulager les problèmes de leurs enfants, entièrement tendus vers ce but : ils ont même déménagé pour eux. Cela pourrait aisément être vérifié ; ce n’est pas le cas. Les Clövers parlent en vain.

Non, il n’est pas bon d’être différent. Nous sommes toujours le 24 août 1996 et c’est un véritable acharnement judiciaire qui va à présent s’abattre sur eux, au moment où Dutroux vient d’être arrêté. La garde à vue est immédiatement reprise par la Police Judiciaire de Montpellier.

Une garde à vue insoutenable, tant pour lui que pour elle : ils sont soumis à des traitements inhumains et dégradants sur lesquels nous reviendrons, qui pourraient faire l’objet d’une condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Elle est en petite tenue et le demeurera durant tout l’interrogatoire ; lui de même, et ils ne pourront se changer durant plusieurs jours etc… Il sera donc attribué à Monsieur des « aveux » d’abus sexuels sur enfants… qu’il contestera quelques heures plus tard. N’oublions pas : il relève d’une grave maladie, il est épuisé, sourd, ne parle pas français, ne comprend rien à ce qui lui arrive : le sol s’écroule sous ses pieds. Pour elle aussi. Ils se reprendront vite toutefois. Et par la suite, ils clameront leur innocence, tout le temps. De même plusieurs médecins allemands qui les connaissent depuis des années écrivent qu’ils refusent de croire à de tels actes… Et ils ne sont pas les seuls.

Mais c’est l’engrenage : les enfants, sous le choc, sont placés au foyer de l’enfance, dans l’attente de leur transfert chez les Hames, une famille d’accueil aisée, de surcroît franco allemande, où ils resteront plusieurs années… sans jamais revoir leurs parents. Sabrina déclare aujourd'hui : « Après trois semaines absolument horribles nous avons été présentés à notre future nourrice… » Ce sera donc la famille Hames. Au début de son séjour, Sabrina réclame ses parents. Tout le temps. En vain, évidemment. Mais les Hames sont attentifs, aimants, sans souci d’argent… et petit à petit, l’enfant s’habitue ; de fait, elle fut traitée dit-elle, comme une « princesse ». Les Hames possèdent une grande ferme… des animaux… Sabrina se fait immédiatement beaucoup d’amies, elle a même un cheval… et c’est la vie de rêve, enfin, presque. Les belles promenades sur la plage, le soleil, les baignades… « C’était un vrai paradis » dit-elle. Son frère placé dans un centre, elle ne subissait plus ses agressions ni les tensions familiales : en raison de son handicap, de ses crises, la petite, même si elle était aimée par ses parents, n’avait pas eu une enfance facile, sa mère redoutait toujours qu’elle lui en fasse reproche. Par exemple, elle était souvent réveillée la nuit par lui et tirée par les cheveux par son frère, les deux enfants en Allemagne devant partager leur chambre ; le manque de place d’ailleurs avait été un des motifs de leur déménagement à Augsbourg. Chez les Hames, rien de tel, c’est la vie de rêve… presque.


Ruptures

Si bien que petit à petit, Sabrina ne réclamera plus sa famille. De toutes manières, cela ne sert à rien, elle l’a bien compris. Aujourd’hui, à propos des accusations d’abus sexuels à l’encontre de son père, elle dit : « On a fini par me convaincre que ça s’était passé »… « A force, j’ai fini par me dire : peut-être… mais finalement je savais que c’était faux… » A-t-elle été manipulée [peut-être de bonne foi] par une famille plus riche, plus disponible, qui s’est sincèrement émue de son sort ? Madame Hames voulut-elle se valoriser devant les experts, elle qui affirmait notamment que Florian n’avait pratiquement plus aucun handicap depuis qu’il ne voyait plus ses parents… que les deux enfants paraissaient aller nettement mieux etc… révoquant même en doute les dires des Clövers sur l’état mental de leur fils, pourtant corroborés par les spécialistes de Munich ? Qu’on se le dise, elle avait réussi un miracle : il n’était pas débile, ou du moins pas autant que ses parents l’affirmaient. Elle apparut même, non pas sur la « une », mais sur la « deux » de journaux locaux, implicitement, comme faiseuse de prodiges. [Elle le fit néanmoins prendre en charge par une institution peu après, sans que l’on ne puisse le lui reprocher certes, mais cela signifie tout de même que ses parents n’avaient pas menti sur son état réel et qu’elle-même dut en convenir ensuite, hors champ de la caméra.]

Malgré son dévouement, elle ne cessa de limiter au maximum les contacts entre les enfants et avec leurs parents, laissant même planer un doute sur l’affaire. Par exemple, à sa sortie de prison, Madame Clövers lui téléphonera régulièrement, lui assurant toujours que son mari était innocent… à quoi elle répondra, comme elle le faisait à Sabrina : « il s’est forcément passé quelque chose, la justice française ne se trompe pas… » La justice ne se trompe pas ! Comment les enfants ou Elke Clövers, qui eux savaient précisément ce qu’il en était pouvaient-il entendre de tels propos ?

Entre temps, après une enquête longue et bâclée, ce qui n'est pas incompatible, les Clövers ont été condamnés par la Cour d’Assises de Montpellier le 14 novembre 1997 à 12 ans de réclusion criminelle pour le père, et 2 pour la mère, condamnation assortie de la déchéance de leurs droits parentaux.


Les Hames


Sabrina et Florian seront certes très choyés, Sabrina en particulier. [Il semble que le petit garçon ait été plus ou moins sacrifié ou du moins mis à l’écart : son état, qui nécessitait de façon vitale les soins lourds que lui prodiguait habituellement un centre spécialisé de renommée internationale… son état ne fut pas tenu en compte ; les soins ne lui seront plus fournis en France… et ceci malgré la libération de sa mère au bout de 15 mois et ses appels désespérés pour qu’on le renvoie en Allemagne afin qu’il puisse continuer à être traité : les contacts entre la mère et les enfants étant interdits, elle devra attendre encore 4 ans et demi avant de les revoir !! 4 ans et demi : une demi vie pour des petits de huit ans. Florian fut peut-être la principale victime de l’affaire, lui qui adorait son père qu’il ne revit plus jamais.] Donc Sabrina sera très choyée chez les Hames… mais interdite de parole au sujet de ses parents. Pour la protéger ? Peut être, mais le résultat est déplorable. Pire encore : on observera ensuite qu’elle ne parle jamais de lui, sous entendant qu’il y a des raisons graves à son silence !

Car ce n’est pas tout : la justice française saisit le Parquet allemand pour enquêter sur les faits ressortant des soi disant déclarations de Sabrina qui se seraient déroulés en Allemagne. Et là, c’est le tollé. Plusieurs médecins du Centre de Munich prennent position, déclarant qu’ils n’avaient jamais constaté de sévices sur les enfants, et qu’il était impossible que les faits reprochés à Monsieur et Madame Clövers soient exacts, qu’ils étaient des parents attentionnés, dévoués etc… Dans un courrier, le pasteur qui travaillait au centre et qui connaissait Monsieur Clövers depuis 1993 dit textuellement « qu’il ait agressé sexuellement ses enfants au camping et que sa femme y ait participé a fait, au centre, l’effet d’une bombe. Je ne le crois pas, et je ne le crois pas encore aujourd’hui ». Cela ne peut pas être plus clair. Et cependant…

La justice allemande écarte donc les prétentions du Parquet : les faits sont non établis, les charges, insuffisantes. Quatre jugements aboutiront au même résultat. Alors, c’est gagné ? Non, pas du tout. Malgré la position du Tribunal allemand refusant de poursuivre, la justice française, droite dans ses bottes, refusera le transfert en Allemagne du coupable-innocent. Il sera libéré au bout de sept ans après avoir bénéficié des remises de peines légales, et après avoir été, bien sûr, maltraité en prison. Il a revu pour la première fois sa fille dix ans après les faits et son fils, jamais.

Car la famille est brisée : le drame a conduit les époux au divorce et à l’éclatement complet… et renforcé les problèmes financiers qui existaient déjà ; tout s’enchaîne. « On a tout cassé avec constance » dit Sabrina. Nous allons voir à quel point.

Car il y a plus encore : après avoir choyé la petite fille, après l’avoir plus ou moins coupée des siens, Madame Hames, lorsque celle-ci eut 12 ans, semble avoir œuvré pour qu’elle retournât définitivement en Allemagne près de sa mère. Or à ce moment là, Sabrina s’était habituée à sa nouvelle vie et plus ou moins résignée à l’éloignement de sa mère qu’elle sentait fragile : elle l’aimait certes, elles se téléphonaient souvent, mais elle ne tenait plus à retourner en Allemagne avant d’être plus âgée, plus forte ; elle ne voulait sans doute plus revivre les tracas dont elle avait été accablée autrefois. De la même façon, sa mère, qui, après sa détention, se reconstruisait laborieusement, devant affronter le regard des gens, se réinsérer socialement… ne pouvait pas encore à ce moment là assumer sa fille… D’autre part, elle n’en avait en principe pas le droit. Qu’importe. Madame Hames fit tout ce qu’il fallait pour les rapprocher.


Une balle de tennis

Pourquoi ce revirement chez celle qui s’était montrée une mère d’accueil irréprochable, ou presque ? Le départ de la petite était sans doute prévu, certes… mais sa décision précipita un autre drame, et prévisible celui là. Il faut observer que les enfants de la DDASS souffrent davantage de ces revirements que de leur situation elle-même : ils se sentent parfois ouvertement exploités, soit par leur famille, soit par les familles d’accueil… la plupart du temps par les deux. Car pour les accueillants, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’un travail… ce que l’on oublie souvent tant sa nature est particulière ; c’est cela que les enfants supportent mal, cela qui les humilie. De fait, il arrive qu’on les prenne ou qu’on les laisse en fonction des prestations qu’ils rapportent ou des avantages que l’on peut tirer d’eux, et ceci même s’ils sont parfaitement traités. Dans les cas extrêmes, ils peuvent passer d’un château à une HLM en fonction de circonstances sur lesquelles ils n’ont jamais vraiment prise. On les exploite [y compris leur propre famille] : du moins le redoutent-ils. C’est le leitmotiv de leurs revendications, souvent légitimes. Or en l’occurrence, le placement des enfants plus âgés étant moins rémunérateur que celui des plus jeunes, on ne peut en effet que s’interroger sur le désir soudain de la nourrice de les renvoyer vers une mère que Sabrina au moins ne réclamait plus… et qui ne pouvait provisoirement en assumer la charge. Moins rémunérateur ? Du simple au triple.

Et c’est là le plus pénible de l’affaire : malgré son amour, ses coups de fil, ses essais (au départ) de les faire envoyer en Allemagne près d’elle, le contact avait fini par être à demi rompu entre la mère et la fille. [De fait, en Allemagne, Sabrina réclamera son retour en France durant plus de cinq ans ! En vain, bien sûr.] Comme elle le dit « on a tout cassé avec persévérance », soi disant pour son « bien ».

Le rôle de la nourrice ici est ambigu : pour obtenir le renvoi définitif de Sabrina, elle souligne que sa mère désirait « plus que tout » la reprendre, ce qui à ce moment là était inexact… et d’autre part, encore interdit, en principe. Donc le juge des enfants interrogea la petite… Insista-t-il ? Reste qu’elle consentit à revenir en Allemagne… malgré elle et malgré sa mère. On peut évidemment prévoir la suite : une catastrophe. L’enfant, à présent habituée à une autre vie, une autre langue et un autre pays, ne s’adaptera pas… et la mère, qui rame péniblement, ne pourra lui offrir la sécurité et le confort qu’elle exige maintenant. Si bien que la situation deviendra telle, quelques années plus tard, que Madame Clövers la mettra à la porte (à 19 ans) malgré un intense sentiment de culpabilité. Un gâchis. Oui, « on a tout cassé, avec persévérance ».

Donc voici ce qui se passe pour l’heure : les enfants reviennent en Allemagne avec Madame Hames, par avion. Le tribunal pour enfants. Madame Clövers, notons le, ne dispose pas encore du droit de les voir. Ce renvoi-envoi des enfants n’est-il pas à présent prématuré ? Et tardif ? Oui, les deux à la fois. Et c’est alors qu’une terrible scène se déroule : le jour même de son arrivée, passant devant le domicile de ses parents, Florian, émerveillé (enfin ce qu’il attend depuis quatre ans !) veut « rentrer » chez « lui », chez sa mère… mais malgré ses larmes, il est emmené dans une institution. [En effet, chez les Hames qui l’avaient déjà placé dans un centre, il avait sans doute été moins choyé que sa sœur… et on peut supposer que lui au moins mettait tout son espoir dans son retour « chez lui ». Pas sa sœur.] De fait, Sabrina « ignora » sa mère… Madame Hames traduisait.


Trop tôt ou trop tard


Par la suite, Madame Clövers n’exerçant plus l’autorité parentale, les relations avec les enfants passèrent par le service d’aide à l’enfance… et une assistance éducative, qui dura trois ans et demi. Comment cela pouvait-il fonctionner ? Une mère qui n’en était plus vraiment « une », disqualifiée avec constance ? Accablée après avoir été spoliée de ses enfants ? Un changement de mode de vie, de zéro à l’infini… ? Tout en effet a éclaté dans cette famille : le frère, éloigné de la sœur ; les parents, des enfants ; il ne reste plus à présent que la rupture entre la mère et le père… qui ne va pas tarder. Un inimaginable gâchis.

C’est le divorce en effet : et Madame Clövers retrouvera enfin ses droits parentaux. Mais que le chemin a été difficile… social et familial… un combat de tout instant, pour retrouver sa place auprès de ses enfants. Et elle a réussi, presque ; une gageure. Disons plutôt, à demi réussi. Car Florian a été placé dans un centre pour handicapés sous la responsabilité du service d’aide à l’enfance et seule Sabrina a finalement résidé chez elle à Augsbourg durant plusieurs années… jusqu’à son départ, un peu forcé. Crise d’adolescence ? Dépression ? Cela arrive dans toutes les familles, alors a fortiori, dans celle là… Notons qu’à présent, les relations se sont apaisées. Reste son père.

C’est lui à présent qu’elle veut revoir, ce qui est en principe interdit. Rebelote. De fait, comment peut-il encore être un père ? Il a trop subi en prison, partout, il a été trop rejeté, humilié. De surcroît, il est malade. Cela, un enfant ne le comprend pas. Bien qu’elle le soutienne, Sabrina est blessée par son attitude fuyante, ses atermoiements… reliés à la décision de justice et à sa crainte évidente d’être à nouveau incarcéré. A-t-il perdu confiance en elle ? Un mot d’elle et il replonge. Tout est cassé. L’oeuf du serpent ? En un sens. Monsieur Clövers est, plus encore que les autres membres du groupe, un homme brisé : son psychiatre et sa famille [qui l’a cependant complètement délaissé à sa sortie de prison] l’ont mis en garde : renouer avec Sabrina constitue un risque, celui de retourner en prison. Ses craintes sont prégnantes, bien qu’il ait tout de même gardé un contact éphémère avec elle par l’intermédiaire de son oncle, Monsieur Lutch. Malgré son âge, celui-ci a toujours essayé de maintenir l’unité familiale y compris lorsque les Clövers étaient détenus en France : c’est grâce à lui que les démarches auprès de l’avocat ont pu être réalisées pour préparer sa défense. Si d’un côté, le père ne peut et ne veut pas reprendre des relations normales avec sa fille tant que « l’affaire » n’est pas réglée, de l’autre, Sabrina se sent coupable depuis des années ; elle a fait une grave dépression et elle aussi suit une thérapie. Elle estime cependant que son père la délaisse et en souffre, ne réalisant pas le risque qu’il court.


Mission difficile

Elle tient à témoigner : à aucun moment, que ce soit lors des auditions à la police, avec les médecins ou encore dans sa famille d’accueil, elle ne l’a accusé. C’est à la suite de ses récentes déclarations que celui-ci a décidé de demander la révision de son procès, bien qu’il soit infiniment cruel pour lui de revenir devant l’institution qui l’a détruit. Le fera-t-elle une seconde fois ? En un sens, et c’est méritoire, il garde espoir malgré tout en cette justice française qui l’a broyé ; elle a commis une erreur, elle n’en fera pas une autre. Espérons le.

Fin 2006, Sabrina rédige une attestation où elle réitère : elle n’a jamais subi, ni elle ni son frère, d’abus sexuels de sa part. Même si le dommage est irréversible, Monsieur Clövers veut retrouver sa place auprès de ses enfants. En toute dignité. Et le seul acte qui peut lui permettre de reprendre vie est évidemment la reconnaissance de son innocence. C’est possible si on retrousse ses manches. Avec l’aide de tous.

Un espoir


Car l’article 622 du Code de Procédure Pénale dispose que la révision d’une décision pénale définitive peut être demandée au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit lorsque après une condamnation, vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.

C’est le cas ; on l’a vu, Sabrina le dit, le crie et le proclame : son père n’avait jamais abusé d’elle sexuellement ni de son frère (aujourd’hui âgé de 23 ans.) Or la condamnation prononcée étant fondée essentiellement sur ses déclarations, il s’agit là d’un fait nouveau qui en principe devrait permettre d’annuler la condamnation précédente. C’est sur les seules traductions, erronées, nous l’avons vu, de ses propos que celui-ci a été condamné. On a détourné sa parole.

Elle martèle : « Je ne répondais que par quelques mots, je ne faisais pas de grandes phrases car je ne comprenais rien… et Florian ne pouvait pas non plus faire de longues phrases » ... « Je n’ai pas compris qu’on parlait de caresses sexuelles » … « Je ne comprenais pas du tout ce qui arrivait. J’étais sous le choc » … « Je n’ai jamais dit que je me mettais à quatre pattes » … « Je n’ai jamais dit que mon père se couchait nu sur moi, à califourchon en enfonçant son sexe dans le mien »… Mais elle ajoute : « Pour avoir la paix je répondais souvent oui à tout… » Et c’est bien là le problème : terrorisée, épuisée, elle a fini par opiner sans mesurer ce qu’on lui demandait, ce qu’on allait lui faire dire ensuite et ce que ses propos allaient générer. Elle précise que « même si les relations avec son père sont difficiles aujourd’hui, elle avait un papa normal à l’époque qui les aimait tous les deux. » Elle souligne par ailleurs que les parents irréprochables de sa famille d’accueil faisaient exactement avec eux que ce que faisaient ses parents. Que son père d’accueil l’embrassait de la même façon que son père. Et elle confirme qu’elle n’a jamais eu peur de son père, et qu’elle ne l’a jamais dit à qui que ce soit.

En vain ? Non, mais tout cela, tout de même, elle l’avait déjà dit au juge d’instruction et à Madame Hames qui n’en avaient nullement tenu compte. Elle s’était aussi confiée à plusieurs reprises à un garçon placé également chez la nourrice, dont la mère et le beau-père étaient aussi accusés de viol sur mineur. Elle souligne encore « qu’elle lui (à la nourrice) avait bien dit que son père était innocent » et que celle-ci aurait répondu immanquablement : « il a dû se passer quelque chose »… Autrement dit, il n'y a pas de fumée sans feu. Si : il n’y a même que de la fumée sans feu. Elément important, jamais Madame Hames ne lui a proposé d’aller répéter à la police ses propos déniant tout abus sexuel. Au contraire. « Nous étions bien chez Madame Hames mais nous n’avions pas le droit de parler des faits, même au téléphone avec ma mère. » Elle dément également les déclarations de Madame Hames qui affirme qu’elle et son frère réclamaient régulièrement de la pommade pour l’anus. [Note : et quand bien même ?] D’autre part, le rapport d’expertise psychologique du 29/10/96 s’appuyant essentiellement sur les déclarations de Madame Hames et de Madame Cany, psychologue, relève que les enfants écrivent à leur mère « mais laissent le père en dehors de leurs souhaits » … « ne parlent jamais de lui », ce qui est à la fois faux… et relativement pervers… puisqu’on le leur avait quasiment interdit ! Lorsque l’on sent que l’on n’est pas cru sur un certain sujet brûlant, a-t-on envie d’en parler ? Cela atteste-t-il de la volonté de la nourrice de discréditer ce père condamné ? De se valoriser ? C’est possible. Celle-ci insiste : elle rapporte également « l’habitude qu’a Florian de mettre tous les jours de la crème décongestionnante sur son anus, bien qu’il ne soit pas particulièrement irrité ». Qu’est-ce à dire ? Tout ici est interprété et interprétable… pour le pire, évidemment.

Et la conclusion de ce rapport sur Florian est particulièrement tendancieuse : « Cet enfant est très conscient de la situation en cours, se montre réticent quand il s’agit de l’aborder, au point d’en perdre totalement l’usage de la parole ». Mais de toutes manières Florian ne parle pas ou très peu : cela n’a donc rien à voir avec sa « situation » d’enfant « violé » ou abusé sexuellement. Ici, on voit que même le silence est interprété. On n’en sort pas. Si Florian fait des crises, c’est normal : son père l’a violé ; s’il se tait, se montre apathique, c’est normal, pour les mêmes raisons ; s’il parle, cela ne peut être que parce qu’il veut cacher la vérité sur ses viols… Des murs, partout, comme les psy… ou les magistrats ont parfois l’art d’ériger.

Cela vaut même pour le rapport d'expertise du docteur Colnel, expert psychiatre, d’où ressort néanmoins la perception fine qu'avait déjà Sabrina, tant des incertitudes de traduction de ses propos que des sentiments qu'on lui prêtait : « l’assistante maternelle souligne son inquiétude face à la prolongation de son placement » … « elle semble inquiète sur les propos tenus par Madame Hames, et demandera à plusieurs reprises à Madame Boulaire de traduire cette conversation »… « Elle est d’accord pour écrire et demande qu’on lui dicte des phrases. Elle ne se risque pas à une production spontanée »… « Elle se montre fâchée quand Madame Boulaire traduit ses propos »… « Elle est assez inquiète, ce qui se traduit par une tendance à ne parler que de choses générales de façon superficielle »… « Actuellement, elle n’évoque pas spontanément de faits commis à son encontre… » Elle se tait : parce qu’elle est traumatisée, forcément. Soit, mais par quoi ? Par qui ? Par les viols, sous entend le rapport : ainsi, tout est carré. [Mais ce n’est pas dit ouvertement.] En réalité, elle est inquiète par ce qu’on lui fait dire : ne comprenant pas les questions qu’on lui traduit, elle redoute réciproquement l’inexactitude ou l’imprécision de la traduction des réponses qu’elle fait, par l’interprète… dont il faudrait s’interroger sur sa qualité, y compris au sujet des prestations qu’elle a effectuées pour la police. Madame Clövers dit que son allemand était très succinct.

Des exemples : « où sont ton papa et ta maman ? »… « en prison »… « pourquoi ? »… « parce que les gens croient qu’ils ont fait quelque chose de mal. » Croient. « plus tard, on m’a demandé si je peux répéter ce que j’ai dit à la police. J’ai répondu : NON, je ne ferai pas ça »… [parce q’elle a compris qu’on lui avait fait dire ce qu’elle n’avait pas dit.] Elle écrit aujourd'hui : « En août 96…une voiture de police a emmené mes parents, et une autre, nous a emmenés mon frère et moi. Nous sommes allés dans un hôpital à Sète…mon frère et moi avions peur et ne savions pas du tout ce qui est arrivé… J’étais très perturbée… On m’a demandé si mon père m’avait agressée ou s’il a fait quelque chose avec moi. J’ai dit très clairement que non … mais comme j’étais sous pression et que je ne savais pas réellement ce que l’on attendait de moi, j’ai finalement dit oui à tout… pour que j’ai la paix … J’ai vécu pendant des années avec une mauvaise conscience du fait de cette situation d’ensemble... » Elle vit rongée par la culpabilité. A l’époque, elle ne pouvait mesurer l’impact de ses réponses, même si face à certains psychologues, elle a essayé de se protéger et de protéger son frère et ses parents. Elle raconte son adolescence perturbée, ses ennuis de santé, la prise d’antidépresseurs, ses situations de panique, et dit : « On ne pourra pas reconstruire ce qui est arrivé, tout a été cassé et détruit avec zèle ».

Monsieur Clövers sera libéré au bout de sept ans. Il n’a jamais revu son fils, et a revu pour la première fois sa fille dix ans après les faits.